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[Critique littéraire] Quand sort la recluse de Fred Vargas - Un véritable coup de cœur

Dernière mise à jour : 23 mars

Aujourd'hui, je vous présente mon coup de cœur de l'été : Quand sort la recluse de Fred Vargas. C'est un roman policier dont le protagoniste est Adamsberg, commissaire à la Brigade criminelle du 13ème arrondissement de Paris. Ce livre, datant de mai 2017, compte environ 480 pages aux éditions J'ai lu (format poche) et est disponible au prix de 8,40 €.


Voici ce que nous propose la quatrième de couverture :


« — Trois morts, c’est exact, dit Danglard. Mais cela regarde les médecins, les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas. Ce n’est pas de notre compétence. — Ce qu’il serait bon de vérifier, dit Adamsberg. J’ai donc rendez-vous demain au Muséum d’histoire naturelle. — Je ne veux pas y croire, je ne veux pas y croire. Revenez-nous, commissaire. Bon sang mais dans quelles brumes avez-vous perdu la vue ? — Je vois très bien dans les brumes, dit Adamsberg un peu sèchement, en posant ses deux mains à plat sur la table. Je vais donc être net. Je crois que ces trois hommes ont été assassinés. — Assassinés, répéta le commandant Danglard. Par l’araignée recluse ? »

Contexte de l’histoire

La quatrième de couverture n’étant pas particulièrement explicite, faisons une petite mise en contexte. Après un détour en Islande, le commissaire Adamsberg est rappelé par ses collègues de Paris. Ils ont à résoudre une enquête que leur chef expédie tranquillement. Mais, par un concours de circonstances, celui-ci apprend la mort de trois personnes âgées originaires de Nîmes, à des dates relativement proches. La cause : une morsure d’araignée au venin nécrotique, la recluse. Seulement, les décès par morsures de loxoscles reclusae (de son petit nom latin) sont très rares. Alors que l’hypothèse de mutation de leur venin est avancée sur la toile (sans jeu de mots, je vous promets), Adamsberg y voit un assassinat masqué. Et, malgré la perplexité de ses collègues, il persévère dans cette direction.


Pourquoi ce livre ?

Ce qui m’a poussé à acheter le livre ? D’abord, la renommée de Vargas que je n’avais jamais lue avant. Ensuite, mon intérêt pour l’histoire. Malgré mon arachnophobie avérée, j’ai toujours été fasciné par cet insecte à huit pattes. Étant à la base de l’intrigue de ce roman, je n’ai pas pu m’empêcher de laisser aller ma curiosité et j’ai accroché dès les premières pages.


Plusieurs intrigues pour pimenter l’histoire

Enfonçons-nous un peu plus profondément dans l’« analyse » de ce thriller en notant une particularité très intéressante. Contrairement à une majorité de thriller ou de policier, on trouve plusieurs micro-enquêtes qui, sans remplacer l’intrigue des recluses, ont un certain poids dans l’histoire. Celles-ci mettent en exergue les qualités d’investigation d’Adamsberg et de son équipe (nous y reviendrons). A l’image d’une pause réparatrice après une course effrénée, elles permettent de faire un break avec l’histoire principale, de prendre du recul, de redonner de la saveur au livre et de se replonger plus frais dans l’enquête des « morsures » de recluses.


Des personnages amusants et uniques

Parlons à présent des personnages. Déjà, il y en a tout de même un certain nombre et, autre particularité, ils sont tous importants. Chacun a son caractère, chacun a son rôle, chacun est unique. Leur description est d’ailleurs assez réjouissante : Adamsberg, le commissaire dans les brumes, Retancourt, la fliquette qui en vaut dix, Froissy, prête à hacker le Pentagone pour plus de challenge, Mercadet, le second geek hypersomniaque, Escalère, le jeune ingénu trop serviable, et j’en passe ! Vargas laisse même une petite place (sans jeu de mots encore…) à la Boule, le chat qui couve l’imprimante du commissariat, c’est pour dire ! Description amusante, un oxymore ? En voici le parfait contre-exemple.


Un protagoniste réfléchi, intelligent mais surtout humain

J’ai également apprécié Quand sort la recluse pour son personnage principal. Je m’y suis presque instantanément attaché. Adamsberg est un homme très calme, presque lent, et pourtant rien ne lui échappe. Il analyse tout, dissèque méticuleusement les scènes de crimes et élucide les mystères avec une facilité déconcertante. Sauf celle des recluses… Mais c’est avant tout grâce à son flair, son instinct surdéveloppé qu’il arrive à ces résultats.


Pour parfaire son image, le commissaire est humain, il est apprécié de tous ses collègues bien qu’ils n’approuvent pas forcément ses méthodes un peu trop basées sur l’intuition. Toutes ces qualités, qui peuvent se transformer en défauts selon les circonstances, font de lui un personnage franchement attachant.


Le style singulier de Vargas

Si, comme moi, vous ne connaissiez pas le style d’écriture de Vargas, vous verrez qu’il a quelque chose d’unique. Il est caractérisé par une alternance entre phrases courtes dans les dialogues (traduisant souvent la pseudo-naïveté des personnages) et des phrases plus sophistiquées pour le reste. On a alors un jeu de contraste tout à fait remarquable. Ainsi, tout le sérieux induit par une phrase plutôt longue est tourné au ridicule par les dialogues, généralement très amusants, même dans les situations les plus tendues. Il y a quelque chose, dans le style de Vargas, qui charge la narration d’une forme d’humour d’ensemble. Ainsi, durant toute la lecture, j’ai eu le sourire aux lèvres, le rire en puissance.


J’ai également beaucoup apprécié le jeu sur les mots tout au long de l’histoire : les métaphores filées sont en quelque sorte le fil conducteur de l’histoire, lui attribuant une logique subtile. Tout s’enchaîne à la perfection, Vargas nous donne les indices nécessaires pour résoudre l’enquête en collaboration avec Adamsberg et, ultime preuve de l’ingéniosité de l’auteure, on tire les conclusions des différents indices en même temps que le policier. Quel meilleur moyen de s’identifier au personnage principal ? Rapidement, vous vous sentirez enquêteur ou enquêtrice de renom !


Enfin, petite particularité : j’ai trouvé qu’il n’y avait pas de suspense. Mais attention, rien de négatif, bien au contraire. Disons qu’il y en a un, mais qu’il est tellement bien réparti qu’on ne le voit même plus. Dans les thrillers particulièrement, le lecteur est tenu en haleine puisque chaque chapitre finit en micro-apothéose, ce qui donne envie d’embrayer sur le prochain. Ici, rien de tout cela. Le chapitre est intégralement intéressant ! Résultat : pas de gros suspense, lourd et effrayant, mais plutôt léger, diffus et naturel.


Réfléchissez à des questions de société

En plus de vous pousser à résoudre l’enquête, ce roman vous fera réfléchir et vous apprendra de nombreuses choses que je vais essayer d’expliciter. Tout d’abord, une grande partie de l’histoire a lieu au sein du commissariat, nous donnant une vision d’ensemble du fonctionnement de la police (criminelle en l’occurrence) : répartition des tâches, paperasse post-enquête, jeux de hiérarchie et d’autorité, problèmes de transparence, soutien et tension entre collègues, etc. Une mine d’informations, bien que nous soyons dans une fiction. On en déduit que la clé pour qu’une équipe policière fonctionne réside dans la bonne entente et la coopération entre tous ses membres. Et vous vous rendrez compte qu’une simple tension peut la mener droit dans le mur…


Ensuite, Vargas semble vouloir nous faire nous questionner sur la lenteur au travail. Peut-on être lent et pour autant efficace ? Notre société nous pousse à penser que non, qu’efficacité rime avec rapidité et qu’il vaut mieux faire plus vite et moins bien que lentement mais sûrement. Personnellement, je n’ai jamais adhéré à cette vision des choses et cette histoire, bien que cela ne soit pas la réalité, je le sais bien, me conforte dans l’idée qu’il est justement parfaitement inefficace d’abattre un travail monstrueux en peu de temps. Nous ne sommes pas des machines. Or, en travaillant vite, on s’empêche de divaguer et de s’ouvrir l’esprit, ce qui nous différencie d’elles ! C’est comme ceci qu’Adamsberg peut avancer par hasard dans ses enquêtes, en combinant cette lenteur avec son instinct. C’est d’ailleurs une autre qualité dont ce livre fait l’apologie. Parfois, il faut savoir laisser de côté la raison pour quelques temps pour donner de la place au « flair », à l’intuition. Elle permet au commissaire de faire de grands pas dans l’enquête des recluses, mais aussi dans l’affaire de meurtre annexe.


Enfin, le protagoniste se heurte à des étocs – désolé, petite référence que vous ne comprendrez qu’en lisant le livre – et tombe dans une grosse impasse, et avec lui le reste de l’équipe. Pourtant, c’était nécessaire pour pouvoir avancer. Pour pouvoir se remettre en question et appréhender le problème sous un autre angle. Ici, Vargas nous fait réfléchir à l’erreur. C’est un moment douloureux mais encore une fois une marque d’humanité. Il s’agit de l’accepter et de s’en relever puisque, comme le disait si bien Truman Capote, « l’échec est l’épice qui donne sa saveur au succès ».


Le pédantisme, imbuvable pour Adamsberg

Une dernière petite remarque à propos de ce livre : la critique récurrente de l’outrecuidance et du beau-parler. Plusieurs personnages sont des érudits en science, en droit ou encore en littérature et profitent de cette « supériorité » pour mépriser toute personne moins cultivée. Il se trouve que Vargas tourne en ridicule ce genre de personnes, « imbuvables » comme le précise souvent le commissaire, ce que j’ai beaucoup apprécié. Autant il est génial de bien savoir s’exprimer, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut utiliser cette qualité au détriment des autres : c’est là la nuance ! D’après Dumbledore, « Les mots sont, à mon avis qui n’est pas si humble, notre plus inépuisable source de magie. Ils peuvent à la fois nous infliger des blessures et nous porter remède. » (cf. Harry Potter, de J. K. Rowling). Alors faisons en sorte qu’ils ne fassent que nous porter remède…


Le mot de la fin

Quand sort la recluse est donc pour moi une véritable réussite et dépasse de loin la simple enquête pour nous apporter une réflexion latente sur tout un tas de questions concrètes. Et puis, pour rester dans la métaphore, on découvre qu’une enquête est un fil que l’on tient au début par l’extrémité ; c’est en le tirant délicatement qu’on peut le dérouler et en atteindre le bout opposé. Lorsqu’il s’accroche quelque part, ce n’est pas en essayant de l’arracher qu’on y parviendra (au risque de faire des nœuds et de le bloquer définitivement), mais plutôt en cherchant d’où vient le problème et en le résolvant. Quitte à perdre du temps et sembler revenir sur ses pas.

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