[Critique littéraire] 1984 de Georges Orwell - La célèbre dystopie dont vous ne sortirez pas indemne
- Steven le Tonqueze
- 26 juil. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 mars
Ce roman est un classique que je me devais de lire depuis déjà longtemps. Je n’en ai pas été déçu, j’y reviendrai plus en détail dans la suite de cet article. De l’écrivain et journaliste britannique Georges Orwell, il a été écrit durant l’affirmation du bloc soviétique en 1948 et se veut une anticipation du monde en 1984. A propos du livre en lui-même, vous pourrez l’acheter au format Folio (éditions Gallimard – traduction : Amélie Audiberti) pour le prix de 8,90 €.
Extrait du roman disponible en 4ème de couverture :
« De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston… Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C’était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n’avaient pas d’importance. Seule comptait la Police de la Pensée. »

Dans cet article, je ne vais pas m’appesantir sur la description de l’univers glaçant mis en place par Orwell pour la simple et bonne raison qu’il y consacre une centaine de pages. Ainsi, l’intrigue m’a semblé un peu longue à démarrer, mais cette partie descriptive reste cependant nécessaire à la compréhension de l’histoire. En voici un bref résumé.
En Oceania, Big Brother mène une nouvelle forme de totalitarisme collectiviste
Brièvement, nous sommes à Londres en 1984 dans un monde imaginé 36 ans auparavant par Orwell. L’Oceania est l’un des trois régimes totalitaires (cf. carte ci-contre) composant la planète. La liberté n’y existe plus, la guerre perdure dans l’esprit des foules mais ne les atteint presque jamais directement. La surveillance permanente, le culte de Big Brother, la modification du passé, l’embrigadement de la jeunesse et l’abrutissante propagande sont les clés de la stabilité du Parti. Tout ceci étant rendu possible « grâce » au télécran : c’est une ingénieuse mais redoutable invention du Parti qui permet à la Police de la Pensée de surveiller 24h/24 l’intégralité des membres du Parti (c’est-à-dire la grande majorité de l’Oceania). Il se présente sous la forme d’une télévision diffusant en continu des informations mettant en valeur le Parti et Big Brother pour accroître sa crédibilité et asseoir son pouvoir. Mais il fait également office de caméra et microphone rendant possible le contrôle permanent de chacun. Bien évidemment, il ne peut être éteint…
Winston Smith, un homme menacé par son esprit critique
Additionné à ce fameux passage descriptif, Orwell présente à la 3ème personne du singulier Winston Smith, le protagoniste. C’est un homme approchant la quarantaine, malade physiquement et mal dans sa peau. En effet, il ne peut s’empêcher de commettre des crimes de la pensée, c’est-à-dire de réfléchir plus loin que ce qu’exige le Parti. En fait, il n’arrive pas à s’abêtir et à soumettre sa pensée et, par conséquent, il représente une potentielle menace. Néanmoins, il parvient à ne pas se faire remarquer et affiche tant bien que mal un visage sans expression devant ses camarades de travail et jusque chez lui, devant les télécrans épiant constamment ses faits et gestes. Un sentiment de malaise, d’oppression, voire de suffocation m’a envahi pendant cette familiarisation avec Winston et le monde dans lequel il vit. Mettez-vous à sa place. Aucun lieu sans être sûr de ne pas être écouté. Des disparitions fréquentes, imprévisibles et profondément injustes. La déformation perpétuelle du passé, au point qu’on ne sait même plus quel souvenir est réel ou non. La modification de la langue, la destruction de l’art, pour placer l’Utile avant le Beau. L’impossibilité d’avoir des amis, le crime d’aimer. L’encouragement de la délation dès le plus jeune âge. La haine à l’égard de l’autre, la méfiance, la crainte. Et finalement la dévotion des foules envers un tyran qui ne fait qu’accentuer ce climat terrifiant et profondément oppressant. On est au paroxysme de l’insupportable, les mots ne suffisent plus à décrire l’horreur de ce monde. Vous suivrez donc l’évolution en pensées et en actes de Winston. Osera-t-il s’opposer au Parti directement ? Impossible. Peut-il lutter autrement sans se faire prendre ? Comment vivre une vie humaine dans cet enfer ? Ou du moins, comment assurer à la postérité une vie meilleure ?
Mon ressenti : une histoire à vous rendre paranoïaque
J’ai particulièrement été affecté par trois choses.
Tout d’abord, par le manque d’humanité traduit par l’absence de compassion, d’amitié et d’amour. Ainsi, les prolétaires, au plus bas de l’échelle sociale, sont relégués au rang d’animaux : leur mort ne choque personne, pas même les prolétaires eux-mêmes. Si un membre du Parti éprouve le besoin d’aider autrui, c’est un crime, et il sera probablement « vaporisé » (c’est-à-dire enlevé et tué) dans les plus brefs délais. Les enfants sont entraînés pour dénoncer le moindre faux pas provenant de leurs parents, qui éprouvent parfois même une certaine fierté à avoir été vendus par leur progéniture (vous comprendrez pourquoi). Enfin, l’amour et le désir sexuel sont bannis : ils pourraient détourner les individus de leur devoir envers le Parti et de leur adoration pour Big Brother.
Ensuite, l’espionnage permanent de la vie privée des citoyens océaniens m’a franchement glacé le sang. Cette intrusion au sein même des foyers grâce aux télécrans exerce une pression insoutenable sur chacun. Pression qui, lorsqu’il est bien entré dans l’histoire, est aussi ressentie par le lecteur. Je puis vous assurer que vous seriez paranoïaque à la place de Winston. D’autant qu’il a des choses à se reprocher : sa haine envers le parti qui modifie son propre passé contre son gré. C’est d’ailleurs la troisième chose qui me touche. Le passé remodelé.
Je n’ai pas non plus accepté, en entrant dans le roman, que le Parti joue avec le passé et le remodèle au point de ne même plus savoir différencier le vrai du faux. Nous accordons tous beaucoup d’importance à notre mémoire et avons du mal à accepter que l’Histoire soit différente de nos souvenirs. Imaginez, en Oceania, non seulement l’Histoire est falsifiée en faveur de la déification du Parti mais on vous oblige à l’accepter au détriment de vos souvenirs. Quelque chose qui nous paraîtrait purement insupportable.
Le mot de la fin
Vous l’aurez compris, sous cette dystopie se cache une profonde réflexion sur le totalitarisme dans un premier temps, mais également sur les thèmes philosophiques de la liberté, de la société, de la politique, de l’obéissance, de la paix, de la conscience et surtout de la vie privée. Orwell pousse le lecteur de l’époque à se poser des questions, dans le contexte instable de la guerre froide. Des questions à se poser encore aujourd’hui, dans une société où la vie privée est volontairement mise à la disposition du public « grâce », entre autres, au développement des réseaux sociaux…
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Bonus
A ne lire que si vous êtes résistant(e) au spoil
Winston se considère déjà comme mort. Son pressentiment sera vérifié puisqu’il est finalement pris par la Police de la Pensée et subit une torture physique premièrement, puis psychologique ensuite. Une torture d’une atrocité telle qu’elle brise tout ce qui reste d’humain au personnage principal. Il ira jusqu’à vouloir la mort de l’être le plus cher pour arrêter sa souffrance. Ce passage est de loin le plus épouvantable et pourtant le plus intéressant. Son tortionnaire explique l’odieuse stratégie qui rend stable ce régime totalitaire dont l’un des principes fondateur n’est pas d’éliminer l’ennemi, mais de le convertir avant son exécution. Voyez plutôt :
Est-ce que je ne viens pas de vous dire que nous sommes différents des persécuteurs du passé ? Nous ne nous contentons pas d’une obéissance négative, ni même de la plus abjecte soumission. Quand, finalement, vous vous rendez à nous, ce doit être de votre propre volonté. Nous ne détruisons pas l’hérétique parce qu’il nous résiste. Tant qu’il nous résiste, nous ne le détruisons jamais. Nous le convertissons. Nous captons son âme, nous lui donnons une autre forme.
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