[ Critique Littéraire ] Celle qui rêvait des tigres - Élodie Chan
- Steven le Tonqueze
- 29 avr.
- 4 min de lecture

Titre : Celle qui rêvait des tigres
Autrice : Élodie Chan
Éditeur : Sarbacane (Collection Exprim')
Date de sortie : janvier 2025
Prix : 15,50 €
Nombre de pages : 187
Résumé
Kishi, jeune femme orpheline, cherche ses origines. Waban, jeune homme désemparé par le sort réservé aux adultes de son village, aimerait bien fuir. Leur rencontre dans la forêt hantée par les Oni Yama, des sorcières insaisissables qui se transforment en tigres, risque bien de tout changer, pour l'une comme pour l'autre. Dans un récit d'une intensité rare, Élodie Chan réinvente la fantasy féministe en vers libre et l'ancre dans un paysage onirique et référencé.
La force d'une quête initiatique poétique et féministe
Élodie Chan est une autrice dont l'univers littéraire nous invite à l'introspection, à la réflexion et à la découverte de mondes où le fantastique et la poésie se rencontrent. Avec son nouveau roman Celle qui rêvait des tigres (publié en janvier 2025 chez Sarbacane), elle continue de tordre la réalité pour offrir un récit où la magie, les luttes intérieures et les conflits sociaux se tissent autour de personnages forts et profondément humains.
Une quête initiatique entre danger et identité
L'histoire nous plonge dans l'univers de deux jeunes personnages, Kishi et Waban, issus de villages où la magie et le surnaturel font partie intégrante de la vie quotidienne. Kishi, accompagnée de sa petite sœur Nuna, vit dans le village de Sel, mais elle peine à trouver sa place. Tandis que Nuna s'adapte aisément à son nouvel environnement, Kishi s'interroge sur ses origines et sur ce qui fait sa véritable identité.
Son chemin se croise avec celui de Waban, jeune homme de Fange, un village où le soufre et le risque se mêlent quotidiennement. Ensemble, ces deux personnages vont tenter de briser les chaînes invisibles qui les lient à un destin déjà tout tracé, tout en faisant face aux terribles Oni Yama, les sorcières qui hantent la forêt. Un tigre, symbole puissant et mystérieux, les guidera-t-il dans leur quête de liberté ?
L'un des points les plus fascinants du roman est cette dimension de quête initiatique où les protagonistes cherchent non seulement leur place dans le monde, mais aussi à se libérer des pressions imposées par leur milieu. Kishi, en particulier, semble être le pivot autour duquel l'histoire se construit, une héroïne qui, dans sa fragilité, dégage une force intérieure étonnante. Son chemin vers la découverte de soi, en parallèle avec celui de Waban, soulève des questions essentielles sur le destin et la liberté individuelle.
Une écriture poétique et libératrice
Élodie Chan choisit une forme originale et audacieuse pour raconter cette histoire : le roman en vers libres. Un choix qui, loin d'être anecdotique, imprègne le texte d'une atmosphère particulière, presque envoûtante. En écrivant en vers libres, Chan donne une liberté à son écriture, une fluidité qui se marie parfaitement avec la nature de son récit. Les mots semblent danser, s’entrelacer, se nourrir les uns des autres, créant une cadence presque musicale. Cette forme poétique permet à l’autrice de jouer avec les émotions des lecteurs, de faire surgir des images puissantes et sensorielles, mais aussi de traiter des thèmes forts de manière subtile et délicate.
Si l’on n’est pas forcément friand·e de poésie, Celle qui rêvait des tigres réussit à convaincre par la force de son écriture, par la manière dont elle capte l'essence de ses personnages, de leurs souffrances et de leurs désirs. Chaque vers est un battement de cœur, chaque strophe une émotion qui trouve son écho dans l’âme du lecteur. Cette fluidité poétique est particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de rendre palpable les luttes intérieures des personnages, leur tension entre désir de liberté et peur de l’inconnu.
Un récit féministe et sororal
Derrière les éléments fantastiques et les intrigues mystérieuses, Celle qui rêvait des tigres se révèle être un récit profondément féministe. Kishi, l’héroïne, n’est pas simplement une jeune fille qui cherche sa place dans le monde, mais une figure de résilience face aux violences qui lui sont infligées. Le livre ne craint pas de traiter de sujets lourds et sensibles, comme la violence, l'agression sexuelle, le viol et l'inceste. Pourtant, malgré cette noirceur, la lumière se trouve dans la sororité, cette solidarité entre femmes qui les aide à se relever et à avancer.
Le lien entre Kishi et Nuna, la relation qu’elles entretiennent avec Mei et les autres femmes du village, montre à quel point la sororité est un élément central. Dans un monde dominé par la violence des hommes, les femmes se soutiennent, se protègent, et s’entraident pour surmonter les épreuves. À travers la figure de Kishi, Élodie Chan nous offre un personnage féminin fort, qui incarne à la fois la fragilité et la puissance. Elle est à la fois victime d’un monde cruel et, paradoxalement, la clé de la résistance face à cette violence.
Un mélange de fantastique et de réalisme social
Le roman navigue habilement entre le fantastique et le réalisme social. Les Oni Yama, ces sorcières qui hantent la forêt, sont des créatures surnaturelles, mais elles incarnent aussi les peurs et les superstitions de ces communautés rurales. Le tigre, qui se fait à la fois chasser et vénérer, devient un symbole de la liberté et de la violence qui coexistent dans cette nature sauvage et implacable. Le fantastique, loin d’être une simple toile de fond, nourrit la réflexion sur le destin, les rapports de pouvoir et la place des individus dans une société figée.

En conclusion : une lecture incontournable
Celle qui rêvait des tigres est un roman qui émeut, qui bouleverse et qui nous fait réfléchir sur la place des femmes, la quête d’identité et la résistance face aux normes sociales oppressantes.
Avec ce roman, l’autrice nous offre une lecture à la fois intime et universelle, où les thèmes de la liberté, de la sororité et de la résilience résonnent puissamment.
Si vous cherchez un roman qui allie beauté de l’écriture, réflexion sociale et plongée dans un monde magique, Celle qui rêvait des tigres est un incontournable. Un conte moderne, qui, par sa poésie, ouvre des portes vers une réflexion profonde sur le destin et la liberté individuelle.
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